Face au fiasco constaté à longueur d’année dans le traitement du dossier de l’argent détourné et aux dépassements concernant les biens publics, le Président de la République décide de prendre les choses en main. Désormais, c’est l’affaire d’une commission qui relève du Palais de Carthage, mais Kaïs Saïed, le bien-aimé des Tunisiens, aura-t-il les coudées franches dans cette lutte?
Le Président de la République, Kaïs Saïed, fait de l’argent spolié et des dépassements sur les biens publics son cheval de bataille. Les différents gouvernements qui se sont succédé depuis la révolution ont abandonné la poursuite de ce dossier et n’ont jamais obtenu gain de cause en raison de plusieurs facteurs dont notamment l’existence de plusieurs institutions relevant de différents ministères, et même de la présidence de la République (Haut comité du contrôle administratif et financier-Hccaf) qui ont planché, chacun de son côté et sans aucune coordination, sur cette question. Il y a lieu de citer à titre d’exemple la création en mars 2011 d’un comité national du recouvrement des biens mal acquis placés à l’étranger, le pôle judiciaire économique et financier en décembre 2016, sans compter la mise en place d’instances indépendantes, à l’instar de l’Instance vérité et dignité et l’Inlucc dont les travaux n’ont pas fait l’unanimité auprès des observateurs, et même de la classe politique, comme en témoigne la sortie par la petite porte de leurs présidents respectifs, Sihem Ben Sedrine et Chawki Tabib. Complexité des affaires liées aux biens mal acquis au temps du président déchu, entraves juridiques, manque d’expérience en la matière ayant entraîné des lacunes procédurales et permis aux clans mafieux de se la couler douce dans les paradis fiscaux, velléité manifeste des gouvernements, instabilité politique, diabolisation bien orchestrée des hommes d’affaires et corruption systémique ont donné le coup de grâce aux molles tentatives de récupération de l’argent spolié et des biens publics.
Sévères mises en garde du Président
Neuf ans après la Révolution, la récupération des fonds spoliés à l’intérieur du pays comme à l’extérieur piétine toujours. La corruption systémique qui sévit dans un pays gouverné par des partis madrés, la mauvaise gouvernance, l’absence de la culture de redevabilité, les manipulations politiques n’ont que largement contribué au fiasco et raffermi la position des spoliateurs.
Devant la velléité des gouvernements passés et leur incapacité à traiter convenablement ce dossier épineux qui aurait pu rapporter une fortune au pays et couvrir une importante part de sa dette, Kaïs Saïed n’a pas hésité à franchir le Rubicon en créant une commission qui relève de la présidence pour s’occuper de l’argent spolié et des dépassements concernant les biens de la communauté nationale. Après l’échec des instances indépendantes et des gouvernements dans le traitement de ces dossiers, la guerre contre la corruption et la mauvaise gouvernance ne fait que commencer.
Encore une fois, Kaïs Saïed a été frontal dans ses critiques et a pointé du doigt les spoliateurs, les comparant à des « essaims de criquets qui sèment le désordre en Tunisie et ravagent tout sur leur passage ». « Nul ne doit être épargné quand il s’agit de protéger les biens de la communauté », martèle le président. Les messages sont bien clairs et ne prêtent pas à équivoque. Par la même occasion, il met en garde les partis politiques contre toute intention de remanier l’actuel gouvernement. Des mots qui s’apparentent à des dards acérés en direction des corrompus et spoliateurs post-révolution mais aussi des messages rassurants pour les membres de la nouvelle équipe gouvernementale : « Je suis de votre côté, mais c’est l’intérêt suprême qui prime ».
Qu’en est-il des biens spoliés à l’étranger ?
A l’étranger, la réaction de l’Etat suisse face à cet épineux dossier n’était pas à la hauteur des déclarations tenues à chaud par les responsables helvétiques après la révolution. De la somme totale de l’argent détourné, la Tunisie n’a récupéré que des miettes en neuf ans. En juin 2016, l’ambassadrice suisse a évoqué, lors d’un colloque international autour de cette question, la restitution d’environ 500 mille dinars. Le montant des avoirs spoliés dépasse largement le milliard de dinars. Piètre réconciliation pour un pays endetté jusqu’au cou.
La raison évoquée est la suivante: Berne, siège permanent du gouvernement helvétique, a bloqué les fonds appartenant au clan Ben Ali. On est toujours au stade de la suspicion de délit de corruption et c’est aux juges de trancher et non au gouvernement suisse.
Cela ressemble bizarrement au refus en juillet dernier de la justice française de l’extradition de l’homme d’affaires Belahassen Trabelsi, beau-frère de l’ancien président Ben Ali. Ce dernier a fui la Tunisie après la chute du régime. « Cette décision prouve que la France est un Etat de droit. Il y avait plusieurs sujets que nous avions soulevés, comme le risque d’un mauvais traitement de notre client en Tunisie et le fait qu’en vertu de la convention (judiciaire) franco-tunisienne, l’extradition n’est pas possible lorsque les faits, objet de la demande, sont prescrits au sens de la loi française », s’est félicité l’avocat de l’accusé, Marcel Ceccaldi.
Il ne suffit pas donc de lancer des accusations dans l’air, encore faut-il apporter les preuves de ces accusations. Il en est de même pour l’argent spolié qui couve dans les coffres-forts des banques suisses.
Même la création du Forum arabe sur le recouvrement des avoirs, initiative née en 2012, à la suite des révolutions dans certains pays arabes (Tunisie, Libye, Egypte), sous l’impulsion des Etats-Unis, dans le cadre du G7, a fait long feu et les pays concernés ont dû déchanter. Au grand dam des Tunisiens, que des condamnations du clan Ben Ali qui se poursuivent. Les citoyens, quant à eux, s’endettent de plus en plus et n’arrivent plus à joindre les deux bouts et ce au moment où les spoliateurs mènent la belle vie en dehors de nos frontières et nos politiques se moquent comme d’une guigne de la situation délétère dans le pays.
Où sont passées les liasses de billets d’argent en devises et en monnaie locale, cachées derrière une fausse bibliothèque au Palais de Carthage et dont la valeur a été estimée à l’époque à 175 millions d’euros et où est passé l’argent du couple Ben Ali après leur fuite? Personne n’est en mesure de répondre à la question.
Neuf ans après, une nouvelle commission qui change de camp pour élire domicile au palais de Carthage, sur fond de sentiment de désamour et de manque de confiance entre le peuple et les partis politiques. Mais Kaïs Saïed, le bien-aimé des Tunisiens, aura-t-il les coudées franches dans cette lutte?
Maghzaoui
16 septembre 2020 à 13:15
Un joli texte bien écrit dans son ensemble, sauf que vous avez utilisé ce mot fétiche d’un bon nombre de journalistes Tunisiens » il s’agit du mot dépassement « ,souvent employé à tort et à travers. vous aurez pu écrire tout simplement, détourner, s’octroyer, subtiliser, voler les biens publics etc…